Hery Rajaonarimampianina, Président de la République, maintenu à ses fonctions par la HCC après une motion de déchéance initiée par des députés, va devoir jouer gros pour pouvoir continuer sereinement son mandat.
Fin du suspens sur la requête en déchéance du Président de la République de Madagascar, Hery Rajaonarimampianina déposée par des députés auprès de la Haute Cour Constitutionnelle (HCC). Dans sa décision n° 24-HCC/D3 du 12 juin 2015 relative à la résolution de mise en accusation du Président de la République Hery Rajaonarimampianina, la haute juridiction chargée de veiller au respect de la Constitution a rejeté la requête des députés comme non fondée et non irrecevable comme il a été repris par certains médias dans la matinée du 13 juin 2015. Mais la leçon a tiré de cette décision de la HCC est que Hery Rajaonarimampianina est maintenu dans ses fonctions de Président de la République, Chef de l'Etat. La HCC a donc tranché dans le vif et a partagé le gâteau en deux pour, selon ses formules, "déployer les moyens utiles et nécessaires pour ne pas paralyser le fonctionnement régulier de l'Etat" et que "au vu du régime semi-présidentiel instauré par la Constitution de la IVème République, et dans l'intérêt supérieur de la Nation et de la République, tout doit être mis en oeuvre pour le fonctionnement régulier de l'Etat". Comme il a été prédit par beaucoup d'observateurs, les magistrats d'Ambohidahy (siège de la HCC) ont préconisé la stabilité politique du pays pour essayer d'éviter un blocage et de donner une issue à la présente crise institutionnelle en maintenant toutes les institutions en place comme il est mentionné dans l'article 3 de sa décision. Dans ses arguments, la HCC a donc plus ou moins satisfait les deux parties. D'un côté, la partie demanderesse, les députés et leurs conseils, a gagné sur la forme. Leur requête a été qualifiée de recevable et la HCC s'est reconnue compétente pour statuer sur leur demande. De l'autre, la partie défenderesse, la défense de Hery Rajaonarimampianina, a convaincu la Haute Cour Constitutionnelle sur le fond. Elle a ainsi rejeté toutes les requêtes de la demande sur le fond, que ce soit sur la laïcité de l'Etat, sur la haute trahison, sur la non promulgation ou la promulgation tardive des lois, sur la non mise en place de la Haute Cour de Justice, sur la violation de l'article 5 alinéa 2 de la Constitution sur la non dissolution de la CENIT pour la remplacer par un autre organe indépendant dans la préparation des élections communales, sur le non respect de l'article 39 de la Constitution relatif à la neutralité politique de l'Administration ou encore sur la violation du principe de la séparation des pouvoirs. Pour chaque requête, les gardiens de la Constitution ont argumenté leurs décisions. Des argumentations qui, parfois, restent discutables et qui vont, sans doute, être contestées mais qui ont le mérite de montrer que la HCC n'a pas dérobé à ses responsabilités et a fait face à ses engagements pour préserver la stabilité du pays. Nul doute qu'elle fera l'objet d'attaques de toutes parts surtout de la part des députés frondeurs qui ont vu leur requête en déchéance rejetée. Mais à voir sa décision de près, elle condamne toutes les institutions de la République à cohabiter, en particulier la Présidence de la République et l'Assemblée Nationale. C'est ce qui est stipulé dans les articles 4 et 5 de la décision.
Cohabitation
Hery Rajaonarimampianina s'en est donc sorti de ce traquenard qu'il n'a pas vu venir, il faut l'avouer. Un souffle de soulagement se fait ainsi sentir du côté de la Présidence mais l'heure n'est pas au triomphe. Il serait même excessif d'évoquer la joie, c'est juste un soulagement. Il faut le reconnaître, le Président de la République se retrouve fragilisé après cette crise institutionnelle. D'un côté, l'hypothèse d'une dissolution de l'Assemblée Nationale reste aléatoire dans la mesure où la HCC l'a tacitement exclue en évoquant les articles 4 et 5 de sa décision qui condamne les institutions à cohabiter puisque tels sont les principes de la séparation et de la collaboration des pouvoirs, fondements du régime semi-présidentiel de la IVème République (article 4). Et cette décision incite même dans son article 5 les institutions à oeuvrer pour un pacte de responsabilité, garant du bon fonctionnement de l'Etat dans le cadre de la Constitution. D'un autre, il lui serait difficile voire impossible de gouverner après ce bras-de-fer avec la Chambre basse sans composer avec les parlementaires frondeurs donc remanier le gouvernement avec le risque de devoir nommer un Premier ministre que ces mêmes parlementaires auront proposé. Madagascar risque dans ce cas de figure de rentrer dans une vraie cohabitation, qui est permise d'ailleurs par la Constitution selon les rapports de force au sein de l'Assemblée Nationale. C'est le scénario qui se dégage pour l'instant après la publication officielle de la décision de la HCC. A l'heure où nous mettons en ligne ce post, la classe politique de tous bords est encore restée muette. Nul doute que chaque état-major évalue encore la situation en vue de la démarche à suivre. Comme les tournants et les revirements politiques sont légion à Madagascar, il n'est pas impossible de voir la position des uns et des autres évoluer maintenant que la HCC a rendu sa décision. Qui sait? Hery Rajaonarimampianina peut encore espérer une majorité au sein de l'Assemblée Nationale. C'est un scénario qui s'est toujours produit depuis qu'il a été élu malgré l'absence et l'inexistence de son parti politique lors des élections législatives. La situation actuelle post décision de la HCC va également mesurer l'éthique politique des députés quelque peu écornée depuis la divulgation des histoires de gros sous pour acheter des voix dans l'hémicycle. Les alliances d'avant motion de déchéance seront toujours d'actualité après la décision de la HCC? C'est l'enjeu politique que vivra certainement le pays dans les jours et les semaines à venir. De son côté, la HCC a tiré son épingle du jeu en prônant la stabilité du pays car il faut le reconnaître, il n'était pas aisé de vivre la pression qui s'abattait sur ses magistrats ces deux dernières semaines. Mais comme on dit, lorsqu'on accepte de jouir des avantages et des prérogatives fastueux d'une fonction, il faut également assumer les responsabilités et les charges qui en incombent. Les magistrats d'Ambohidahy ne sont pas à plaindre après tout. Mais que dire de ces 90% de Malgaches, spectateurs ahuris et impuissants de ces mascarades politiciennes? Ils n'ont guère le choix si ce n'est d'affronter la misère quotidienne.
EDDY RABE