Un spectacle affligeant, c'est ce qu'ont montré les forces de l'ordre malgaches aux yeux du monde pour procéder à la fouille du véhicule ou à l'arrestation d'une parlementaire élue dans le 2ème arrondissement d'Antananarivo. Lanto Rakotomanga, c'est d'elle dont il s'agit n'a pas voulu se soumettre au contôle de routine de nuit des forces de l'ordre et à la fouille de son véhicule arguant l'immunité parlementaire. Elle a pu, une première fois, s'échapper aux éléments des forces de l'ordre qui l'ont prise en chasse avant de l'intercepter. Entretemps, la députée a pu avertir ses collègues qui sont aussitôt venus à sa rescousse. Sur les lieux de l'interception, les policiers et gendarmes appuyés par des éléments des forces spéciales lourdement armés évoquent le flagrant délit suite au délit de fuite de l'élue pour procéder à la fouille du véhicule. Tandis que, de leur côté, les parlementaires présents brandissent l'immunité parlementaire de l'élue qui, de surcroît, se trouve en période de session ordinaire pour leur en interdir. S'ensuit ensuite un face-à-face tendu entre les deux camps qui a amené les forces de l'ordre à recourir à la manière forte. Jets de grenades à gaz lacrymogènes, intervention musclée puis défonçage des vitres des portières arrière du véhicule pour déloger la députée et son assistante. Bref, une scène digne d'une arrestation de caïds de grand banditisme. Excédé par la situation, le député du 6ème arrondissement d'Antananarivo, Rahasimanana Paul Bert dit Rossy s'en est même venu aux mains avec certains éléments de la police. Il faut reconnaître que la scène est surréaliste. Quelle mouche a pu piquer les commandements des forces de l'ordre et les commanditaires en haut lieu de cette interpellation pour avoir eu recours à des mesures si disproportionnées pour fouiller voire arrêter Lanto Rakotomanga? Lanto Rakotomanga, qui plus est, n'est pas une citoyenne ordinaire mais une parlementaire bénéficiant d'une immunité en session ordinaire, et est une femme, de surcroît. Un excès de zèle? Sans doute pas, l'acte est délibéré et assumé car les forces de l'ordre, selon son porte-parole, s'appuient sur des informations des renseignements généraux pour vouloir procéder à cette fouille. Et le délit de fuite de l'élue, selon toujours le porte-parole, conforte leurs soupçons sur ce que transporte Lanto Rakotomanga dans sa voiture et marque le caractère de flagrant délit auquel les députés même en session ordinaire ne peuvent s'en soustraire. Dans la voiture se trouvaient en effet deux cartons dans lesquels ont été rangées des liasses de billets d'une somme de 200 millions d'ariary (plus de 55.000€). Pour les forces de l'ordre, la thèse de complots pour déstabilisation par la voie de distribution d'argent révélée par les renseignements généraux est établie. Soit! Mais cela justifie-t-il ces interventions musclées? Car pour tout observateur avisé, les forces de l'ordre ont agi sous ordre politique. Dans une situation où le Président de la République fait l'objet d'une motion de déchéance de la part des députés, il est difficile de penser autrement. D'autant que la victime n'est autre que Lanto Rakotomanga, une proche de Andry Rajoelina, devenu adversaire farouche du Chef de l'Etat. Cette élue était aussi l'un des fers de lance de la requête en déchéance de Hery Rajaonarimampianina.
Le torchon brûle au sommet de l'Etat
La maladresse des forces de l'ordre conduit certainement le pouvoir vers une bourde politique. Quand bien même Lanto Rakotomanga a commis un délit (délit de fuite) parce que même étant députée de Madagascar, elle ne peut se soustraire à un contrôle de routine. Mais ledit délit ne peut constituer la levée de son immunité qui doit relever du correctionnel ou du criminel et sur demande auprès du Bureau Permanent de l'Assemblée Nationale. Pour ce qui est du flagrant délit, le fait de circuler avec une certaine somme d'argent quoique considérable constitue-t-il un méfait de flagrant délit? Comment les forces de l'ordre comptent-elles également prouver que cet argent va être destiné à des fins de déstabilisation? De plus, aussi invraisemblable qu'il soit les éléments des forces de l'ordre qui ont procédé à l'interpellation ne disposaient pas en eux de mandat émanant d'un quelconque juge ou du Ministère public. L'enlèvement des deux cartons et leur dépouillement n'avait pas été assisté d'huissier. Des procédés qui sont entachés de vices de procédure et qui n'ont pas manqué d'être repris par la famille politique de Lanto Rakotomanga et de sa défense. Ceux-ci avancent déjà qu'il y avait 240 millions d'ariary (plus de 66.000€) dans les cartons et non 200 annoncés par les forces de l'ordre. Et que l'argent devrait être utilisé pour le remboursement des cautions des candidats MAPAR aux élections municipales du 31 juillet. L'on est en droit, par conséquent, de se demander si l'Etat de droit prôné par le pouvoir actuel n'est pas en train de vaciller. En fait, ces faits ne sont pas étrangers à la motion de déchéance visant le Chef de l'Etat. Par le biais de cette interpellation, le pouvoir a voulu montrer que les députés à l'origine de cette motion ne sont animés que par des velléités de coup d'Etat et l'argent constitue le nerf de leur stratégie dans cette démarche soit en soudoyant leurs pairs, soit en corrompant les membres de la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) à qui revient la décision de se prononcer sur la déchéance. Cette dernière information est sortie des indiscrétions d'un officier chargé de l'enquête sur l'affaire Lanto Rakotomanga comme quoi l'argent retrouvé dans la voiture de l'élue était destiné à Ambohidahy (siège de la HCC). Il pourrait y avoir de la vérité dans cette information mais n'y aurait-il pas un autre moyen pour démasquer ce pot-aux-roses? En voulant faire de la communication en titillant la corde sensible de l'opinion par la mise en lumière de la corruption, pratique bien réelle au sein de la Chambre Basse, le pouvoir s'est brûlé les ailes et a érigé ses adversaires en victimes. Que ce soit dans la forme ou dans le fond, la gestion de cette affaire Lanto Rakotomanga a été un fiasco pour le pouvoir. Il se retrouve aujourd'hui pour beaucoup d'observateurs comme un pouvoir qui dérive vers le totalitarisme, d'autant que bon nombre d'élus du Mapar, parti de Andry Rajoelina ou des proches de l'ancien président de la Transition déclarent faire l'objet de surveillances et de filatures policières. Il faut reconnaître aussi que la panique gagne les rangs de l'entourage de Hery Rajaonarimampianina. Il estime vouloir aller vite sur la bataille de la communication pour conquérir l'opinion sur le motif de coup-d'Etat des députés. Car le temps passe vite pour le Président de la République. La HCC va rendre dans quelques jours sa décision et au fil du temps on parle moins de coup-d'Etat mais plus d'une soumission à l'Etat de droit, c'est-à-dire d'une tendance à vouloir cautionner le bon droit des députés dans la requête en déchéance. Des corps prestigieux de l'Etat comme le syndicat des administrateurs civils par exemple a déclaré publiquement qu'ils s'en remettent à la décision de la HCC. Tout est dit. Enfin, notons également que les députés frondeurs ont, pour l'instant, rejeté le projet de rapprochement avec le Chef de l'Etat en vue d'aplanir les différends sur un "pacte de non-agression" au nom de la sainte stabilité politique du pays. En attendant, une chose est sûre: le torchon brûle au sommet de l'Etat et il n'est pas prêt de s'éteindre, et ce, quelle que soit la décision de la HCC.
EDDY RABE